Claudine Carette, née en 1953 à Fez, elle s’est éteinte le 14 septembre 2021 des suites d’une longue maladie. Sa dernière joie aura été de se voir décerné, en juin de la même année le premier prix de la Maison de la Poésie de la Corse. Après des études de philosophie, elle se consacra à l’animation culturelle que ce soit dans le monde associatif ou dans les instances officielles locales ou nationales. Elle était chevalier de l’Ordre national du Mérite et directrice du GRETA.

Le long mur rouge

Arrange mieux, Soufian, mon jeune frère,
le long turban blanc qui protège ta tête,
si bien roulé sur tes cheveux en boucles.
Arrange aussi la grande et large robe,
ta gandoura de laine,
ocre dans l’ocre des sables qui t’entourent.
Et tes mules de cuir brun,
surtout, surtout, ne les oublie jamais,
sur le chemin.

Soufian, le soleil est trop près, il t’endort,
et les poussières sèches des tourbillons de sable
ferment tes yeux si noirs.
& tes longues journées, là-bas, jeune Soufian,
immobile,
accroupi dans les cailloux coupants,
au bord de ta piste, au désert…

Pauvre frère de misère,
immobile,
ô mon joli Soufian,
surveille bien ton unique trésor,
ce troupeau rêche de chèvres noires,
araignées maigres accrochées maintenant
à la paroi abrupte, et si glissante, du
grand rocher de glaise rouge.
Prêtes à sauter aux branches dures de
l’arganier d’épines grises, l’unique,
l’infertile.

Et dans ton dos Soufian,
l’immense plateau sombre,
brûlé à grands traits réguliers,
déchiré par les vents,
les violents de l’hiver,
retient dans ses creux, fort,
mais pour combien de temps encore,
ses gros cubes de pierre,
absurdes, trop bien taillés,
arrachés des sommets
par les eaux déboulées.

Alors Soufian, prend garde à toi,
le plus gros barre les autres,
arrêtés, qui t’attendent,
juste au-dessus de ta tête d’ébène,
si belle, ô mon ami Soufian,
suspendus

Alors Soufian,
oublie le temps,
rêve, rêve encore…
des beaux vergers de Taroudannt.
L’orangeraie brillante et verte,
carré vert après carré vert
ourlé des hauts cyprès noirs.

Rêve, Soufian…
revoie aussi
le long mur rouge qui l’entoure,
construit pour lui offrir
au jour cru de janvier,
à l’instant terminé, la première orange.
Déposée.
Au creux de ta main tendue vers elle,
jeune et belle épousée,
enroulée dans le drap de coton bleu nuit,
seuls ses yeux noirs dévoilés, dans les tiens.
Découpée en forme d’étoile,
mûre,
gorgée de jus sucré.